Il y a celles qui choisissent un petit tatouage discret, porteur d’un sens profond, et celles qui recouvrent leur peau entière, allant du pied à la tête. Et puis, il y a celles qui n’hésitent pas à multiplier les dessins, sur chaque parcelle de leur corps.
Un phénomène qui se démocratise de plus en plus. Mais pourquoi ? S’agit-il simplement d’un effet de mode, ou bien d’un phénomène sociétal auquel il faut désormais s’habituer ?
On rencontre des passionnées du tatouage, des convaincus, mais aussi des sceptiques et ceux qui préfèrent ne pas franchir le pas.
Chez Scarlette, on ne se contentera pas de dire que « c’était mieux avant ». On va creuser cette question essentielle : pourquoi ressent-on ce besoin de se faire tatouer ? Est-ce vraiment un besoin, ou simplement un caprice de plus dans un monde où l’on cherche à se réinventer sans cesse ?
Pourquoi ce phénomène se démocratise-t-il autant ? Quel est l’impact de cette tendance sur notre image de soi ?
Pour en parler, nous avons demandé l’avis du Dr Nicolas Kluger, dermatologue tatoué, qui nous aide à mieux comprendre ce besoin intime, tout en partageant ses conseils précieux pour prendre soin de son tatouage.
Vous êtes passionné(e) par l’univers du tatouage ? Son livre Mon tatouage et moi est un incontournable pour plonger dans les coulisses de ce phénomène culturel.
L’histoire secrète du tatouage : des stigmates aux icônes
Le tatouage, à ses débuts, n’était pas conçu pour être un simple ornement esthétique. Il était bien plus qu’une décoration : il représentait un stigmate, un moyen de marquer les individus ayant enfreint des lois ou règles importantes au sein de leur société. Un symbole de marginalité, un moyen de reconnaître ceux qui avaient pris des chemins de travers.
La première personne de notre culture à avoir choisi un tatouage pour des raisons purement esthétiques fut… Sissi l’impératrice. Elle s’est fait tatouer une ancre, symbole de son amour pour la mer et les voyages. Un geste audacieux, car à l’époque, cet acte allait à l’encontre des conventions sociales, défiant les normes de la royauté et des classes supérieures.
Cependant, les tatouages ont longtemps souffert d’une mauvaise réputation, et il n’est pas rare qu’ils soient encore perçus de manière négative aujourd’hui. Ils étaient associés aux marginaux, aux révoltés, aux outsiders. Cela a donné naissance à un mouvement aux États-Unis : celui des Suicide Girls. Ce groupe, constitué principalement de jeunes filles (de toutes morphologies), souvent étudiantes, posait en photos pour afficher fièrement leurs tatouages, souvent nombreux. Le nom « Suicide Girls » fait référence à un « suicide social », car à l’époque, il était difficile de s’intégrer dans certains cercles sociaux, notamment professionnels, avec des tatouages visibles.
Pour en savoir plus sur l’évolution des tatouages à travers les cultures et les époques, le Dr Nicolas Kluger, expert dermatologue et tatoué, offre une analyse approfondie. Son travail explore les tatouages à travers différentes ethnies et périodes historiques, apportant un éclairage complet sur leur symbolisme et leur évolution.
Suicide social ou nécessité narcissique ?
Les tatouages ne sont pas simplement des ornements de peau. Ils peuvent être vus comme des signes identitaires puissants, permettant aux individus de reconstruire ou d’affirmer leur identité. Ce phénomène va bien au-delà de la simple décoration corporelle.
Comme l’expliquent Stéphanie Zakhour, psychologue clinicienne, et Layla Tarazi-Sahab, psychanalyste et chercheuse à l’Université Saint Joseph, dans leur étude approfondie sur les personnes très tatouées (5 tatouages ou plus), le tatouage joue un rôle essentiel dans la construction de soi. Elles ont étudié des personnes âgées de 22 à 44 ans, sans se soucier de leur classe sociale, croyances ou autres critères, afin de comprendre l’impact du tatouage sur l’estime de soi.
« On se base sur l’hypothèse que les tatouages sont des marques corporelles comme des signes identitaires et qui permettent aux individus la construction d’une nouvelle identité. »
La construction de l’identité et l’estime de soi à travers le tatouage
Les psychologues soulignent que la construction de l’identité se fonde sur trois grands processus :
- Le processus somato-psychique, qui englobe la prise de conscience de son corps ;
- Le processus pulsionnel, avec les investissements narcissiques envers son corps ;
- Le processus relationnel, qui concerne la reconnaissance sociale.
Comme l’explique Anzieu (1985), dans sa théorie du « moi-peau », l’identité personnelle est façonnée à la fois par le corps biologique et par le corps social. Le tatouage, en ce sens, devient un moyen d’exprimer cette identité et d’établir une frontière entre soi et l’autre.
Témoignages recueillis au cours de cette étude montrent que pour certains, il est difficile de se sentir « eux-mêmes » sans leurs tatouages. Pour une femme, par exemple, le tatouage représente une affirmation de soi : « Je me sens plus regardée, et cela me plaît ». Le tatouage devient ainsi une manière de se sentir reconnue et visible dans une société où l’apparence joue un rôle important.
L’étude a également mis en évidence un autre aspect important : l’estime de soi. Selon les conclusions des chercheurs, l’estime de soi de ces individus a significativement augmenté après avoir fait le choix de se tatouer. Ce phénomène rejoint la théorie de Françoise Dolto (1989), qui considère le tatouage comme une « carapace du moi ». Un véritable bouclier pour protéger les failles narcissiques et offrir une forme de réparation psychique.
Existe-t-il une addiction au tatouage ?
Face à l’engouement grandissant de certaines personnes pour recouvrir leur corps de dessins indélébiles, on ne peut s’empêcher de se poser des questions. Pourquoi cette envie irrépressible de tatouer chaque centimètre de peau ? Le tatouage serait-il devenu une obsession ? Mais comme le souligne le Dr Nicolas Kluger, dermatologue tatoué, il n’y a pas véritablement de sensation de manque lorsque l’on choisit de ne pas se faire tatouer de nouveau. L’addiction, selon lui, n’est pas un facteur déterminant, même si certaines personnes, une fois leur première œuvre terminée, sont déjà lancées dans un nouveau projet. Cela soulève donc la question : qu’est-ce qui motive réellement ces individus à aller toujours plus loin ?
Se dépasser, supporter la douleur, ou encore rehausser son ego… Pour beaucoup, le tatouage devient une manière de se réapproprier son corps. Cette quête d’affirmation personnelle peut alors amener certains à pousser les limites de l’esthétique et de la douleur jusqu’à ce qui peut être perçu comme un excès.
Mais que dire des « tatouages extrêmes » ? Ces pratiques qui vont au-delà du simple ornement corporel et touchent à la transformation radicale du corps. Techniquement, toutes les surfaces peuvent être tatouées, mais certains procédés restent largement controversés. Par exemple, en France, le tatouage du globe oculaire est illégal, car il comporte des risques graves. Cependant, en Suisse, cette pratique est légale, ce qui amène à se demander pourquoi certains individus se lancent dans des transformations corporelles aussi poussées.
Les transformations corporelles extrêmes sont souvent perçues comme des gestes volontairement nécessaires sur le plan psychique. Bien que ces techniques soient encore assez peu connues, elles comportent des risques significatifs. Les complications peuvent être graves, ce qui explique en partie pourquoi des restrictions légales existent, notamment en France. Alors, jusqu’où faut-il aller pour se sentir bien dans sa peau ?
Le tatouage est-il encore mal vu ?
Jusqu’à récemment, au Japon, les tatouages étaient presque exclusivement associés aux yakuzas, la mafia locale, et symbolisaient un engagement envers un groupe marginalisé. Pourtant, cette vision du tatouage est loin d’être universelle. Aujourd’hui, dans de nombreuses sociétés, les personnes tatouées continuent de faire face à des jugements réducteurs. Elles sont souvent perçues comme plus rebelles, moins attirantes et même parfois considérées comme moins intelligentes.
En France, ce jugement social touche particulièrement les femmes. Tandis que les hommes tatoués bénéficient d’une certaine acceptation, la femme tatouée est souvent confrontée à des préjugés plus marqués. Le tatouage sur le bas du dos, par exemple, est souvent perçu comme une promesse de rencontre sexuelle, un stéréotype qui alimente les jugements.
L'impact du tatouage dans le monde professionnel
Mais l’impact du tatouage ne se limite pas aux relations sociales : dans le monde professionnel, les femmes tatouées et percées peuvent être vues comme moins compétentes et moins attentionnées par les patients, notamment dans le secteur hospitalier. Une situation qui souligne la manière dont le regard de la société peut influencer la perception de la professionnalisme et des compétences d’une personne.
Sans parler des entretiens d’embauche où, malheureusement, le refus de retirer un piercing peut rapidement tourner à l’échec. Ces comportements stigmatisants montrent à quel point les transformations corporelles restent encore très mal vues dans certaines sphères de la société.
Alors, pourquoi ces jugements persistent-ils malgré l’évolution des mentalités ? Et comment peut-on faire évoluer la perception du tatouage dans notre société ?
Nous espérons que Scarlette a su mettre en lumière le côté moins connu de cette pratique qui se répand à grande vitesse. Bien que nous n’ayons effleuré qu’une petite partie du travail très complet du Docteur Kluger, nous vous encourageons vivement à plonger dans son livre, véritable référence pour comprendre l’histoire du tatouage à travers les différentes civilisations et les époques.
Son ouvrage, riche et détaillé, offre également des conseils précieux pour les personnes tatouées ou celles qui envisagent de se lancer dans cette aventure, mais aussi pour celles qui, avec le temps, éprouvent des regrets. Mon tatouage et moi est bien plus qu’un simple guide ; c’est un véritable éclairage sur les enjeux psychologiques, culturels et médicaux du tatouage. Une lecture indispensable pour quiconque s’intéresse à cette pratique fascinante et en pleine expansion.